Surréalisme non-duel
Une histoire de pipe

La Trahison des Images

C’est en 1929 que Magritte peint le fameux tableau intitulé « La trahison des images » qui représente une pipe sous laquelle est écrit le texte: « Ceci n’est pas une pipe ». Entre 1926 et 1930, Magritte a peint une série de tableaux autour de ce même thème (La Clé des songes, Le Miroir vivant). En 1966, il reprend et conclut sa réflexion sur ce thème dans le tableau « Les deux Mystères », qui met en abîme la pipe de 1929.

En 1973, Michel Foucault, philosophe français, publie un opuscule intitulé « Ceci n’est pas une pipe » aux éditions Fata Morgana dans lequel il analyse le tableau. Vous pouvez lire un compte rendu de ce texte ici

Voici les trois niveaux d’interprétation qui sont détaillés dans son  opuscule:

  1. L’image n’est pas le mot: la représentation picturale d’une pipe n’est pas une pipe.
  2. L’énoncé n’est pas l’image: La phrase ‘Ceci n’est pas une pipe’ n’est pas une pipe.
  3. L’ensemble de l’image et du texte n’est pas une pipe.

On retrouve dans cette analyse un des principes de la sémantique générale introduits en 1934 par Alfred Korzybski . Il affirme: ‘La carte n’est pas le territoire’.

Je vous propose de poursuivre cette exploration encore plus profondément pour questionner la nature-même de la « réalité ».

Symboles et réalité

Jusqu’ici si nous adhérons à l’analyse de Foucault et de la sémantique générale: Une représentation picturale ou verbale n’est pas l’objet qu’elles symbolisent et vice-versa. (la photo, le dessin ou le mot ne sont pas l’objet qu’ils représentent). La sémiologie étudie le rapport entre les signes et symboles et ce vers quoi ils pointent. Il s’agit donc d’examiner le rapport entre signifiant et signifié. Et l’observation première est qu’il existe une distinction entre le symbole (signifiant) et ce vers quoi il pointe (signifié) ; que les deux sont irréductibles. Les images et les mots trahissent donc bien ce qu’ils représentent. On pourrait même rajouter ici que le mot ‘pipe’ n’est pas associé aux mêmes symboles sonores en français ou en anglais.  Selon l’alphabet phonétique international voici la bonne prononciation: \pajp\ en français et puis en anglais : /pip/ Le symbole écrit représentant l’objet est identique dans les deux langues mais pas les sons associés.

Perception directe et réalité

Je vous propose d’aller un pas plus loin dans l’analyse.

La symbolisation est le résultat d’un processus mental. Avant de rendre la réalité sous forme d’un symbole, elle doit être perçue. La perception de la pipe précède sa représentation picturale, sémantique ou sonore. Avant d’exister sous forme d’un consensus culturel par lequel l’objet sera désigné par le symbole ‘p-i-p-e’ et prononcé d’une certaine manière, l’objet existe dans notre perception pré-symbolique. Pour un nourrisson, l’objet ‘pipe’ est touché, goûté, secoué sans évoquer ni le tabac, ni Magritte, ni Foucault, ni la sémantique, ni la sémiologie. C’est une perception directe. Pour un nourrisson, les tableaux de Magritte et une pipe sont des occasions d’expérimenter le monde, des goûts, des odeurs, des couleurs, mais certainement ni des « tableaux » ni « une pipe », ni « des symboles ».

Yoga et réalité

Patanjali, dans ses Yogas Sutras, propose 3 manières relatives d’appréhender la réalité. Nous venons d’illustrer les deux premières:

Anumana pramana: l’inférence, la déduction, le raisonnement. Il s’agit des facultés mentales qui incluent le processus de symbolisation.

Pratyaksha pramana: la perception directe, sensorielle des phénomènes.

et donc la troisième manière, agamah pramana: la référence à une autorité (livre, personne), à un témoignage fiable,inspiré ou crédible.

Nous faisons tous appel à cette troisième façon de décrire la réalité. Nous avons incorporé dans notre vision du monde des affirmations scientifiques crédibles, qui ne proviennent ni de notre faculté de déduction, ni de notre perception directe. La combinaison des observations directes et de déduction de tierces personnes crédibles, nous permettent de voir des atomes dans une pipe. Ceci n’est donc pas une pipe mais une collection d’atomes invisibles qui, associés, forment ‘une pipe’.

Mystique et réalité

Dans cette troisième catégorie de ‘preuves’, Patanjali ne faisait pas référence aux témoignages scientifiques. A l’époque, les mystiques et chamanes jouissaient de la réputation dont ont hérité les scientifiques aujourd’hui. La description de la réalité proposée par les mystiques et chamanes, faisait office de vérités révélées. Leur perception et leur description du monde, permettait à chacun de percer les voiles limités de la perception et de décrire le monde d’un point de vue inhabituel, à  partir d’états de conscience modifiés. C’est dans cet esprit que dans la tradition du bouddhisme Zen on affirme qu’au début les montagnes sont des montagnes; au milieu les montagnes ne sont plus des montagnes.

Durant ma formation en Fréquences de Brillance, j’ai plusieurs fois expérimenté ce point de vue dans lequel, ‘Ceci n’était plus une pipe’. Lors de plusieurs phases de cet apprentissage qui se passe en états de conscience modifiés, la pipe amer-indienne qui était présente dans la pièce m’a parlé. Ces moments ont été fort bouleversants et ma perception de la réalité a été profondément altérée depuis. J’ai depuis intégré les informations et ressources dormantes qui m’ont été offertes durant cet états, et donc je me sens suffisamment paisible pour témoigner de mon expérience et pour partager la vision du monde qui s’est ouverte depuis. J’ai perçu dans cette pipe des dimensions et des consciences qui me permettent d’affirmer que cette pipe n’était plus une pipe.

Lorsque le champ de conscience s’ouvre aux perspectives du moi supérieur, la perception du monde change radicalement, la réalité s’élargit bien au delà de la cognition habituelle. Dans la roue intégrale R13, tous les niveaux de conscience entre 9 et 13 donnent accès à des perceptions multidimensionnelles, dans lesquelles, une pipe n’est plus seulement une pipe ou plus du tout une pipe.

Et n’attendez donc pas ici de trouver une définition finale de la réalité. Le monde est-il ce que l’on perçoit socialement? Est-il ce que nos sens perçoivent ? Est-il décrit par les paradigmes scientifiques, mystiques ou chamaniques? En fait, c’est tout cela à la fois et rien de tout cela. Tout est juste ou faux en fonction du point de vue. Une pipe est une pipe ou pas, selon votre point de vue.

Non-dualité

Dans les trois catégories de ‘preuves (pramana)’ de Patanjali, il y un observateur qui observe une réalité extérieure, à travers les sens, le mental ou la vision d’une autorité.  Le monde est donc réel et l’observateur donne un point de vue relatif mais réel, existant, sur cette réalité objective. La pipe est mise à toutes les sauces, réelle, irréelle, multiple, inexistante…

Les voies non-duelles proposent de rajouter une dimension supplémentaire à cet inventaire déjà surréaliste de Prévert.

A cette altitude, la conscience est la seule et unique composante de toute expérience. La pipe apparaît dans la conscience et sa substance n’est rien d’autre que la conscience-même. Il n’y a pas de pipe hors de la conscience. Il n’y a pas de conscience hors de la pipe. La pipe est conscience. Il n’y a pas d’objet observé par quelqu’un. Il n’y a que ‘Ceci’, ce qui est dans le moment. Et ‘Ceci’ n’est simultanément pas une pipe et est une pipe.

Nous revoilà revenu au point de départ, dans lequel les montagnes sont (vraiment) des montagnes. Mais aucun raisonnement, aucune logique ne peut établir ce point de vue. Le tableau de Magritte est donc un parfait Koan Zen. Comme une matriochka, il contient l’essentiel et le superflu dans une forme élégante et simple. La non-dualité inclus le surréalisme. Le surréalisme est essentiellement non-duel.

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