Les Métamorphoses de l'Amour

La neige chez les Inuits

Parmi les métaphores que j’aimais utiliser, il y a celle de la neige chez les Eskimos. Vous ne la connaissez pas encore? Il paraîtrait que chez les Inuits, pour décrire la neige et la glace, la langue locale, l’inuktitut, disposerait de plusieurs dizaines de mots différents. L’idée générale est donc simple. Quand on vit quotidiennement dans un monde fait de neige et de glace, on disposera d’un langage plus riche pour les décrire qu’à l’équateur qui ne connait généralement ni l’une ni l’autre.

Une intuition m’a poussé à vérifier si cette affirmation était fondée. L’anthropologue John Steckley écrivait en 2007 que le total le plus souvent cité est de 52 termes différents pour la neige et la glace en inuktitut. Mais cette affirmation a ensuite été froidement critiquée puis revue à la baisse par bon nombre de linguistes qui ont ramené le décompte à une douzaine de mots pour la neige et une dizaine pour la glace. Par exemple

qanik neige qui tombe
aputi neige sur le sol
pukak neige cristalline sur le sol
aniu neige servant à faire de l’eau
siku glace en général
nilak glace d’eau douce, pour boire
qinu bouillie de glace au bord de la mer

Du ciment dans l'Univers

Toutes les photos illustrant ce paragraphe ont au moins une chose en commun. Sur chacune on peut voir le bloc de ciment qui a été utilisé pour construire un certain bâtiment à New York. Mais vous conviendrez qu’en regardant la photo de la terre vue de Mars, ce n’est pas ce qui saute directement aux yeux. Il semble donc utile de disposer d’un vocabulaire adapté pour décrire le monde à partir du point de vue que nous adoptons.

Voilà donc une adaptation modernisée de la métaphore de la glace Inuit.

En clair: il est nécessaire d’adapter la langue et le vocabulaire en fonction du détail, de la granularité avec lesquels on se penche sur l’objet que l’on cherche à décrire.

L'amour chez les Grecs

Depuis l’antiquité, l’esprit d’observation et d’analyse des philosophes  grecs a grandement contribué à enrichir la langue, à nourrir le vocabulaire. L’amour s’est naturellement invité à la place d’honneur chez plusieurs philosophes et il a reçu une part de choix dans le dictionnaire. Platon dans le Banquet, nous propose de le suivre dans une réflexion élaborée sur le thème de l’amour, à travers l’opinion de plusieurs personnages dont Diotime qui s’exprime par la bouche de Socrate. C’est là déjà qu’on trouve l’idée que l’amour est une échelle qui peut être gravie pour arriver à son sommet de beauté, trouvée dans la connaissance.

Ken Wilber et Jean-Yves Leloup

Ken Wilber fait référence dans son modèle intégral, à une vingtaine d’auteurs qui ont modélisé chacun un aspect particulier du développement humain. Nous faisons souvent référence à Clare Graves pour le développement des valeurs et à Abraham Maslow pour la pyramide des besoins ou à Sigmund Freud pour le développement psycho-sexuel.  Rajoutons aujourd’hui, Jean-Yves Leloup qui,  sur les traces de Platon et des philosophes grecs,  dans un livre co-écrit avec Catherine Bensaid se penche à nouveau sur la question de l’amour.

C’est dans les textes et le vocabulaire de la Grèce antique que ce livre se propose de combler le manque cruel de nuances du dictionnaire français. N’est-il pas étonnant que le même mot Amour ou Aimer soit utilisé dans des contextes aussi variés que:

– J’aime les framboises
– J’aime mes enfants
– J’aime lire
– J’aime dieu

Les Métamorphoses de l'Amour

Le modèle intégral symbolise les différentes étapes de développement de la conscience par les couleurs de l’arc-en-ciel. Partant de l’infra-rouge, la version la plus égocentrique, la plus insensible et la plus inconsciente de l’expression de la conscience pour arriver à l’ultra-violet qui propose la version la plus hétérocentrique, la plus inclusive, la plus sensible, de l’expression de l’humanité, ces étapes se déclinent de manière spécifique pour chacune des lignes de développement.

Les métamorphoses de l’échelle amoureuse suivent exactement ces étapes de développement de l’amour qui souffre à l’amour qui s’offre, comme le dit le sous-titre du livre cité ci-dessus.

Les métamorphoses de l'amour

 

De la Grèce à l'Inde, de la connaissance à la dévotion.

Les métamorphoses de l'amour

Gnothi seauton (en grec ancien Γνῶθι σεαυτόν / Gnỗthi seautόn,  traduit par Nosce te ipsum en latin) est une expression en grec ancien, signifiant : « Connais-toi toi-même. »

C’est, selon le Charmide de Platon, le plus ancien des trois préceptes qui furent gravés à l’entrée du temple de Delphes.

Cette injonction est reprise en Inde dans la version modernisée de l’Advaita Vedanta, par l’invitation à contempler la question: « Qui suis-je? ». Le jñāna yoga  (devanāgarī : ज्ञानयोग), le yoga de la connaissance propose le retour à Soi par le retournement de l’attention vers sa source.  Ces deux cultures millénaires s’accordent pour affirmer que pour comprendre le monde, il convient de plonger profondément à la source de Vie en Soi.

Ce chemin permet de gravir l’échelle de l’Amour, de grandir en détachement et de rapprocher de cet état de conscience dans lequel l’univers entier est perçu en Soi. Agape, l’amour inconditionnel est assez vaste pour contenir absolument tout ce qui existe sans aucune tentative de jugement, d’interprétation ou de transformation.

Mais le yoga de la connaissance propose de prolonger la ligne de l’amour un pas plus loin. C’est la raison pour laquelle dans le tableau ci-dessus, les termes grecs pour l’Amour font place à trois termes sanskrits.

L’état de libération dans lequel l’ego est intégré et transcendé par la la reconnaissance de la conscience pure permet de s’établir comme l’Amour. La conscience pure est décrite comme éternelle (Sat), source de toute connaissance (Chit) et source de toute joie (Ananda). L’éveil non-duel dans lequel la vie se reconnaît comme cette conscience et reconnaît toute forme manifestée comme l’expression de cette conscience, permet de poursuivre l’échelle de l’amour une étape au-delà de Agape, dans la félicité de l’Amour en Soi.

C’est là que le yoga de la dévotion prend le relais. La conscience pure est l’émanation de la Source de Tout Amour. Le lien qui lie la conscience individuelle à la conscience universelle est expérimentée dans le yoga de la dévotion par deux étapes décrites par les mystiques comme Bhava, les prémisses de l’amour pour dieu et Prema, l’amour pur pour Dieu.  La théologie Vishnouite rentre tout particulièrement en détails dans les saveurs particulières qui existent dans l’expérience des différentes formes de l’amour pur pour Dieu. Et nous pourrions ici, comme pour la neige des Inuit, exprimer les différentes saveurs de l’amour pur avec de nouveaux mots qui viendraient enrichir notre vocabulaire. Mais il me semble que nous avons déjà assez abusé du grec ancien et du sanskrit dans cet article !

Comme beaucoup de mystiques en témoignent, la conscience individuelle établie dans l’amour pour Dieu, n’a de cesse dans cette quête vers le Bien-Aimé que de s’unir à Lui. Cette reconnaissance finale, l’extinction dans l’Union divine, dans la chambre nuptiale du cœur, signe probablement la dernière étape sur cette échelle de l’amour.

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