Maître Eckhart Naissance 1260 (Hochheim) Décès 1327 Eckhart von Hochheim, dit Maître Eckhart, (c. 1260 - c. 1328) est un spirituel, théologien et philosophe dominicain, le premier des mystiques rhénans. Il étudia la théologie à Erfurt, puis Cologne et Paris. Il enseigna à Paris, prêcha à Cologne et Strasbourg, et administra la province dominicaine de Teutonie depuis Erfurt. Chronologie biographique 1260 environ - naissance à Hochheim. la date exacte et le lieu du décès de
Maître Eckhart sont inconnus. Ayant répondu à ses
détracteurs, il est actuellement supposé que durant 1329,
il a entrepris de se rendre en Avignon, depuis Cologne pour affronter
son accusation. Nulle archive n'existe concernant ni ce départ,
ni ce voyage, ni cette arrivée, ni aucun autre fait postérieur. Paradoxalement, la réhabilitation de Maître
Eckhart après 750 ans aboutit au jugement quil na jamais
eu besoin dêtre réhabilité. Telle est en bref
la réponse que le Maître de lOrdre de lépoque,
Timothy Radcliffe, reçut du Vatican en 1992, et quil résumait
ainsi dans une lettre datée du 15 août 1992, à Peter
Talbot Wilcox, alors président de la British Eckhart Society :«
Nous avons essayé de faire lever la censure sur Eckhart »,
écrit Timothy Radcliffe, « et on nous a répondu quen
réalité cela nétait pas nécessaire puisquil
navait jamais été condamné nominalement, mais
seulement certaines propositions quil était supposé
avoir soutenues, et par conséquent nous sommes parfaitement libres
de dire que cest un bon théologien orthodoxe ». Enseignements L'enseignement spirituel de Maître Eckhart est
formulé à partir d'une invitation à la déshabitation
du corps considéré comme moyen (et non terme) nécessaire
de l'union à Dieu, et à la réception de Dieu dans
le cur du disciple. La réception de Dieu en l'âme du
croyant - âme libérée, évidée de tout
même de l'image de Dieu lui-même, rejoint le thème
patristique classique nommé "inhabitation trinitaire":
la Trinité descend dans le fond de l'âme (où l'intellect
joue un grand rôle) avec toutes ses propriétés, ainsi,
rendue à nouveau semblable à Dieu, l'homme connaît
une déification, nommée théosis dans la tradition
grecque. Puisque Dieu est présent avec toutes ses qualités,
l'engendrement éternel du Fils par le Père dans l'Esprit
se produit désormais dans l'âme humaine. L'enfantement de
Dieu dans l'âme, climax de la vie chrétienne, est le fruit
de la « divinisation » reçue de et par l'union à
Dieu. Précisions Ce détachement est exprimé sous deux registres. Le premier a trait à une séparation (Abgeschiedenheit) qui porte à son maximum l'appauvrissement volontaire. Cependant, parce que ce qui est spirituel est supérieur à ce qui est matériel, cette "séparation" est tout d'abord spirituelle et traduite dans un ascétisme chrétien aux accents proches du stoïcisme : l'abondance de citations des auteurs stoïciens en témoigne. Plusieurs auteurs ont considéré cet aspect en parallèle de la recherche de vacuité du bouddhisme : si de nombreuses ressemblances semblent apparaître, ce serait pourtant faire erreur de rapprocher à outrance une ascèse où le vide désengagé est un but (bouddhisme) et une recherche d'un désencombrement de soi dans une volonté de ressembler à Jésus-Christ Le détachement sous cette première forme est à comprendre en fonction d'une théologie de l'homme créé à l'image de Dieu : image dont la ressemblance est perdue. Retrouver la ressemblance suppose de se vider de soi, de se dénuder des images, pour que Dieu entre en soi Mais le détachement eckhartien est aussi ontologique, à la fois suppression ou annihilation de ce que nous ne sommes pas ("Entbildung" dans les écrits en moyen-haut allemand) et constitution d'un dépassement métaphysique de soi ('Ueberbildung"): donc un renoncement à tout ce qui rend l'être crée indisponible à l'action de la Grâce ; le dernier degré de ce détachement consistant même à s'affranchir de l'effort pour se rapprocher de Dieu, il conduit à une Gottbildung : déiformation . Il s'agit en effet moins de se décharger du poids de réalités contingentes extérieures que de cultiver et entretenir une intériorité. Ainsi disposé, l'esprit libre, le cur humble, toute attente ou aspiration personnelle éteinte, l'intériorité insensible à toute turpitude, Dieu ne peut faire autrement que de s'y loger, comblant cette vacuité par la félicité ; « l'homme devenant par Grâce ce que Dieu est en nature. » (Maxime le Confesseur). C'est ce que l'on appelle la divinisation, ou en grec la théosis, thème mal connu, jugé parfois hétérodoxe, alors que remontant, outre Maxime le Confesseur, à Augustin, et se prolongeant en de très grands spirituels tels que Nicolas de Cues qui a conservé en sa bibliothèque l'oeuvre latine de Me Eckhart. Cet apparent empiètement sur la puissance divine et la suspension du mouvement spontané de la piété ont été les prétextes principaux des accusations d'hérésie, confortées par des énoncés dégagés de leur contexte de prédication, le tout amplifié par le goût de formules paradoxales. Ainsi, contre la tendance générale à labandon du monde, Eckhart proclame et justifie théologiquement la possibilité de réintégrer lidentité métaphysique avec Dieu tout en restant dans le monde. Il s'agit d'une formulation chrétienne d'une union effective à Dieu. Il est préférable daller du vocabulaire latin au vocabulaire allemand pour comprendre Eckhart sans risque. Ainsi en va-t-il pour le mot déité, présent dans nombre de traductions françaises. Or, le texte latin dEckahrt utilise toujours le couple « deus-divinitas », à une seule exception où ce couple devient « trinitas-deitas », et en allemand « Gott-Gottheit ». Une traduction se voulant savante a introduit le terme déité dans la traduction française, équivalent à deitas en latin, au lieu de conserver le texte eckhartien divinité, instillant lidée quEckahrt reprendrait une partie de la théologie de Gilbert de la Porrée au premier quart du XIIe siècle. Selon l'adage « Tout ce qui est en Dieu est Dieu », alors, demanda Gilbert de la Porrée, par quoi, Dieu est-il Dieu, puisque ce par quoi on est quelque chose, n'est pas celui qu'on est ? Ainsi il introduisit la distinction entre Dieu, divinité et déité. Eckhart ne le suit pas dans sa radicalité, même s'il connaît ses conceptions ontologiques, surtout à travers les reprises aménagées par (Alain de Lille) dans ses Règles de Théologie. Il emploie à dessein un autre vocabulaire pour se mettre à distance des excès porrétains, principalement dans sa théologie de la création. Cet exemple philologique montre quencore de nos jours, le christianisme affiché dEckhart et sa volonté dorthodoxie nest pas comprise, même de lettrés censés être spécialistes de cette période. Lexpérience mystique est vue comme le retour à la Divinité manifestée dans le Christ vivant en le cur du croyant. La vocation prédestinée de lhomme est dêtre en Dieu. Si le Père engendre le Fils dans léternité, Dieu engendre le Fils dans le fond sans fond, l'abditus mentis d'Augustin, ou Grund en moyen-haut allemand, de lâme. Toute cette théologie est très classique. et porte le nom d'inhabitation trinitaire. Ce n'est pas cette thèse qui a suscité la haine de deux confrères dominicains contre Eckhart, mais le refus de la Réforme de l'Ordre, réforme à laquelle a pris part le frère dominicain Eckhart, et qui contrariait certains de ces confrères. Les reproches faits à la théologie eckhartienne Ce qui finalement a monté des adversaires contre Eckhart est un ensemble complexe : des thèses formulées avec le vocabulaire
des béguines, affirmant qu'existe dans le fond sans fond de l'âme
un quelque chose échappant au temps, à l'espace et à
tout mode d'existence, un quelque chose d'éternel et de divin (Esse
est Deus): une divine étincelle. La peur du panthéisme a
nourri dès lors les critiques. La difficulté de ses thèses a conduit à
de nombreuses interprétations erronées de son message. Eckhart
avait pour projet d'écrire une uvre originale. À l'époque
des Sommes Théologiques, il envisageait un ouvrage tripartite,
combinant les commentaires bibliques et la spéculation, organisé
autour de mille questions. Cet Opus Tripartitum n'a pas été
achevé, et les chercheurs tentent actuellement d'en retrouver des
éléments dans les uvres qui nous sont parvenues. Il fut accusé dhérésie en 1326, et en 1329 les thèses extrêmes extraites de ses uvres furent condamnées. Cependant, de l'avis de Josef Ratzinger lui-même lorsqu'il n'était pas encore pape, le procès n'a pas eu lieu , Eckhart n'est pas au sens strict du terme condamné. Il n'a donc même pas à être réhabilité. Le professeur Joseph Ratzinger, futur pape sous le nom de Benoît XVI, après examen, n'a pas trouvé d'hérésie, mais des maladresses de langage dans ses uvres : c'est donc avec logique que le saint siège vient de réhabiliter Me Eckhart. La théosis, ou divinisation, l'inhabitation trinitaire, le primat de la grâce, la structure paradoxale du dogme chrétien qui est une suite d'apories maintenues (Christ Dieu et homme, mort et vivant, Dieu un et trois; l'homme saint et pécheur, le salut déjà là et pas encore, etc..) : tout cela appartient à la tradition chrétienne, portée par les plus grands maîtres. C'est même l'une de ses caractéristiques, Le "Problème "Eckhart" ne serait donc plus qu'un problème de compréhension, une fois placé combien Eckhart refuse le principe scotiste (de Jean Duns Scot) d'univocité de l'Être : ce principe pose comme préalable l'incapacité de transporter en Dieu par analogies des principes ontologiques formulés au sujet de ce qui n'est pas Dieu. Selon Benoît Beyer de Ryke, la condamnation de Maître Eckart aurait pour origine avant tout le fait qu'il ait cherché à faire passer ses théories non pas dans ses traités théologiques en latin - dont la lecture était réservée à un petit nombre de lettrés - mais dans ses sermons publics adressés en langue vernaculaire, donc comprise de tous, à des dominicains mais aussi à des béguines et surtout à de simples laïcs. Selon les spécialistes allemands du droit médiéval (W. Trusend), la mise en accusation d'Eckhart dans une bulle limitée géographiquement est le fruit de querelles internes à l'Ordre Dominicain, venues de la volonté de réforme du frère Eckhart. On ignore la date exacte de son décès :
il partit de Cologne à destination d'Avignon pour défendre
ses thèses. Ensuite, sa trace est totalement perdue, ce qui ajoute
encore au mystère l'entourant, puisqu'il n'a pas laissé
d'autobiographie, et a restreint au strict minimum les confidences sur
sa vie. L'inspiration de Maître Eckhart Maître Eckhart applique un principe fréquent au Moyen Âge : la "discretio", il ne dit rien à son sujet. Les autobiographies existent, mais sont rares : Suso fait exception à la règle. Sa condamnation semble avoir empêché toute biographie posthume qui nous aurait renseigné sur son parcours intellectuel précis. Beaucoup retiennent pourtant à son sujet l'influence d'Augustin, et de Pseudo-Denys l'Aréopagite, principalement dans toute la thématique dite "théologie négative", où ce qui est dit de Dieu est toujours au moins imparfait, au pire faux, bien qu'il soit cependant nécessaire d'apporter une parole à l'être crée, alors que, selon Eckhart, ce que désigne la parole ne soit pas atteignable par les mots. Le seul argument du nombre de citations d'Augustin montre qu'il demeure sa première source. On trouve dans «Le Miroir des simples âmes anéanties», une thématique proche de celle que développera Maître Eckhart. Son auteur, Marguerite Porète, fut brûlée à Paris le 1er juin 1310{cf Kurt Ruh, Initiation à Maître Eckhart: théologien, prédicateur, mystique - Page 139}, peu de temps avant le premier séjour qu'il y fit. Or, l'inquisiteur chargé d'instruire son procès résidait dans le même couvent qu'Eckhart. Il y a de discrètes mais fermes allusions à l'ouvrage de Marguerite Porète, Le miroir des âmes simples anéanties, et à d'autres béguines, disséminées dans l'uvre d'Eckhart. Eckhart cite fréquemment de nombreux auteurs dont : Sénèque Il a recours à des éléments de poésie, profanes ou religieuses, à des séquences liturgiques. En outre, il montre une excellence connaissance des sources habituelles de la scolastique (les Règles de Théologie d'Alain de Lille), et même du droit (décret de Gratien). Si Platon est cité, Aristote l'est plus encore. Eckhart selon la question se déclare explicitement tributaire de l'une ou l'autre tradition philosophique. Il est dans la continuité, et non dans la répétition, des penseurs dominicains du XIIIe siècle. Il prolonge le travail de pensée du dogme chrétien engagé par son ordre dès la naissance de la scolastique. Sur de nombreux points, il renvoie à Thomas d'Aquin. Comme ce dernier, il est très fidèle à la devise de son ordre : "Contemplata aliis tradere", communiquer aux autres ce qui est contemplé. Mais il sait aussi préférer ou inventer des solutions originales là où les réponses thomasiennes ne le satisfont pas. À la différence de Dietrich de Freiberg, un de ses prédécesseurs immédiats, à la fois dans le monde germanique et dans l'ordre dominicain, il se préserve des thèses d'Avicenne. De même, il n'utilise pas autant Proclus qu'Albert le Grand. La postérité de Maître Eckhart Maître Eckhart fut le fondateur du courant spirituel que l'on appelle la Mystique rhénane. Deux grands prédicateurs dominicains furent ses disciples immédiats: Jean Tauler (±1300, 1361) a prêché
à Strasbourg et à Bâle. Il reste très proche
d'Eckhart, tout en donnant moins de place à la pensée de
ce dernier, du moins apparemment et dans le domaine spéculatif
, et plus à la parénèse. Au XXe siècle, le pangermanisme nazi crut possible de s'accaparer Eckhart, au moins comme l'un des fondateurs de la langue allemande et interdit à Raymond Klibansky (1905-2005), parce qu'il était juif, d'étudier ses ouvrages. Cette tentative de récupérer Eckhart échoua ; comme le note Wolfang Wackernagel, spécialiste suisse de ce dernier, il n'y a pas de traces d'antisémitisme chez un auteur qui dit toute son admiration pour Maïmonide C'est avec Heidegger que les références sont les plus explicites . Dès son étude de Jean Duns Scot, Heidegger annonce la nécessité d'approfondir la pensée du Maître Thuringien. D'après Pierre Capelle, Heidegger a cherché dans Eckhart une phénoménologie de la religion, et la pensée de l'être (ontologie) et l'attente de Dieu. L'ontologie heideggerienne, et sa pensée de l'Un, s'enracinent dans plusieurs systèmes médiévaux, dont celui d'Eckhart. Plus proche de nous, la parenté de la philosophie de Michel Henry est assez forte pour qu'une thèse et de nombreuses publications lui ait été consacrées, principalement dans le registre de l'ineffable et de l'engendrement . Par ailleurs, les textes de Maître Eckhart ont
inspiré au compositeur de musique contemporaine Pascal Dusapin
la pièce pour chur mixte Granum sinapis (1997). uvres de Maître Eckhart Sermons Allemands (fr)
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